• "À L'ITALIENNE"

    "Francia Campione à l'italienne"

    "À L'ITALIENNE"

    Garrincha était d'une humeur massacrante. Il a regardé la finale à l'ombre du soleil de plomb qui a précédé le match et juste avant un de ces orages caractéristiques des caprices de l'été. Il ne fallait pas l'enquiquiner. Garrincha flippait. Garrincha n'y croyait pas et plus le temps passait, plus les bleus jouaient mal, plus les Croates occupaient l'espace, faisaient le jeu, se montraient menaçant et plus Garrincha y croyait de moins en moins. La mi-temps à 2 à 1 pour la France n'y faisait rien. Peresic avait même marqué un but quasi-brésilien, identique au 3-2 français de Mbappé contre l'Argentine. Un but splendide de joueur-penseur de l'immédiat et de la situation. Il avait rabattu la balle avec son pied droit vers le pied gauche, en décalant trois français d'un seul coup. Son tir croisé puissant et imparrable avait transpercé la défense. Magnifique. La Croatie jouait, la Croatie dominait. La Croatie était belle à voir même si Garrincha ne comprenait toujours pas quel plaisir on avait chez les Croates à se raser les côtés de la tête comme chez ces monstres nazis qui ont écrit les pages les plus noires de l'histoire de l'humanité. Alors la faute légère sur Griezmann qui permet l'ouverture du score grâce à une déviation malheureuse de Mandzukic sur le tir de Griezmann, le pénalty transformé par le même Griezmann, tout cela donnait un avantage au tableau d'affichage pour les bleus mais ne contribuait pas à nous rassurer. Mi-temps : 2 à 1. Garrincha continuait à être travailler par son éternel pessimisme méridional. "Qu'est-ce que le pessimisme méridional et en quoi consiste-t-il ? Il consiste à voir toutes choses, toutes idées, toutes illusions - y compris les idées et les illusions qui semblent guider le monde - courir vers la mort. Tout court vers la mort : excepté la pensée de la mort, l'idée de la mort (...) qui est la pensée elle-même" (Leonardo Sciascia, L'affaire Moro, Sellerio editore Palermo, 1988, p. 52). Il savait que si les Bleus ne jouaient pas, ne produisaient pas l'étincelle qui transformerait le match en plaisir de voir et de vibrer, même dans la défaite, celle-ci serait plus dure encore à vivre que tous les crépuscules qui transformeraient en nuages noirs la finalité sans fin d'un monde sans homme, ni espérance. De rage, Garrincha envoya à la mi-temps un sms du côté de la terre de ses ancêtres : "Francia scarsa e culosa". "La France médiocre et chanceuse". Elle mène mais elle ne le mérite pas.

    Et puis un rayon de soleil transperça la nuit noire moscovite pendant dix bonnes minutes. Deux flambées de Mbappé, une première fois pour positionner Pogba via Griezmann, plein axe, d'abord le pied droit, puis le pied gauche. Nos cris couvrent les commentaires de la téloche. La seconde fois, vient d'Hernandez : un improbable zigzag à la zizou, aussi déterminant que le gauche-droite qui avait permis la reprise de volée magistrale de Pavard contre l'Argentine. Mbappé, royal au centre du terrain, ajuste son tir en le croisant. Il est aussi calme qu'un samouraï. Garrincha retombe sur le canapé et sur sa carcasse de vieux con. il n'en revient pas. Après le coup de sifflet final et malgré la bourde terrible de Lloris - comme une répétition insensée de ce Suède - France du 9 juin 2017 qui avait permis aux Suédois de recoller au classement, d'écarter plus tard la Hollande et puis, d'éliminer l'Italie en match de barrage - Garrincha voyait son rêve de gamin exaucé pour la deuxième fois en 20 ans.

    Du temps très ancien où les anciens étaient plus vieux encore que Garrincha et les Calciatori, les bleus étaient des nains du football. Ils étaient tellement mauvais qu'une simple victoire ou une qualification à une phase finale de coupe du monde était un événement. Les bleus étaient "champions du monde des matchs amicaux". Bordel de chiottes ! "champion du monde des matchs amicaux" ! Quel connard de speaker chauvin avait encore pondu un truc pareil. "Champions du monde des matchs amicaux" ! Les Français jouaient, c'était beau à voir et à la fin, ils perdaient. Sauf dans les matchs qui comptaient pour du beurre. La grande maîtresse, la grande prêtresse du football s'appelait Italie. L'Italie jouait et gagnait à l'italienne, car le football c'était le Brésil et c'était aussi l'Italie.

    Garrincha repensa à cette soirée de mars 1977 à Liverpool. Le but de Bathenay n'avait pas suffi à remporter la partie. Un quart de finale dans la vielle coupe d'Europe des clubs champions, ça suffisait déjà amplement pour les gamins que nous étions. Alors une étoile de coupe du monde ? On savait même pas qu'elles existaient les étoiles.

     


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